[Économie circulaire] Une passerelle construite à partir de béton réemployé

 

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Des chercheurs de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), ont dévoilé un prototype de passerelle, réalisée à partir de béton issu d’un immeuble en travaux.

Inaugurée le 11 octobre au sein du Smart Living Lab de Fribourg, cette première mondiale vise à mettre en avant les possibilités de l’économie circulaire dans la construction, tout en réduisant l’impact environnemental de ce secteur.

 

 

Construire à partir de béton réemployé

Et si le béton issu des chantiers de démolition pouvait servir à construire de nouveaux édifices ?
C’est le défi que se sont lancé des chercheurs de l’EPFL avec pour objectif de montrer que les éléments de réemploi dans la construction peuvent être aussi fiables et utiles que leurs équivalents neufs.

Pour mener à bien ce projet et répondre aux craintes multiples autour du réemploi du béton, les scientifiques de l’EPFL se sont donné deux mois pour trouver un bâtiment source dans la région ainsi qu’une entreprise de démolition prête participer au défi.
C’est l’entreprise de démolition Diamcoupe, qui réalise ses diverses activités en Suisse et dans les pays voisins, qui s’est finalement montrée intéressée pour participer à l’expérience.
C’est sur un chantier de transformation d’un immeuble, construit il y a moins de 10 ans et situé à environ une heure de Fribourg, que le choix s’est porté.

Si l’usage de béton neuf reste plus simple, puisque l’ingénieur peut choisir lui-même les tailles et les propriétés mécaniques du matériau, le réemploi du béton nécessite de travailler avec les propriétés variées et préexistantes des éléments. Néanmoins, l’état des éléments en béton récupérés peut être facilement vérifiable grâce à différentes méthodes de vérification des structures existantes.
Pour ce faire, le laboratoire d’exploration structurale (SXL), basé au Smart Living Lab de Fribourg, s’est attaqué au développement d’un outil numérique permettant d’automatiser la sélection d’éléments issus d’un stock.
Phoenix 3D, outil open source mis à disposition en téléchargement ici, permet donc de concevoir des structures en treillis optimales réalisées à la fois avec des composants neufs et réutilisés.

 

 

Une passerelle de 10 mètres

 

Pour réaliser cet ouvrage, une première en matière de réemploi en construction, les chercheurs avaient besoin de dimensions précises concernant les pièces récupérées. Sur le chantier sélectionné, les chercheurs ont donc demandé à l’entreprise de démolition de scier les pièces aux bonnes dimensions et de percer les blocs d’un bord à l’autre, de manière à pouvoir y faire passer par la suite des câbles de précontrainte.
Ces câbles, fournis par l’entreprise Freyssinet, sont notamment nécessaires à la construction de l’arc. Un cahier des charges établi au préalable précisait les spécifications de ces éléments pour la bonne réalisation du projet.

25 blocs de béton de 20 cm d’épaisseur ont ainsi été collectés sur un mur en béton armé, destiné à la démolition, puis posés sur une structure en bois.
À ces éléments, les équipes ont ensuite ajouté du mortier au niveau des joints, permettant de compenser les variations dimensionnelles des pièces.
La forme en arc choisie pour la structure d’une portée de 10 mètres est idéale dans le cas d’un réemploi de béton, puisque les blocs sont sollicités en compression uniquement.

Malgré les contraintes initiales, les éléments récupérés n’ont subi aucun dommage et leurs propriétés ont pu être vérifiées grâce à des essais non destructifs, dont une analyse par scléromètre.
Après l’application de la précontrainte, l’ensemble des tests de charge réalisés se sont avérés concluants. Lors de son vernissage, 25 personnes sont montées ensemble sur la passerelle pour prouver sa robustesse ainsi que sa sécurité, identique à n’importe quel ouvrage neuf.

 

 

Un gain environnemental

Le principal atout de cette méthode de construction est son impact environnemental réduit.
A travers ce projet, les chercheurs invitent le monde de l’industrie du bâtiment à évoluer vers des méthodes moins émettrices de CO2, le secteur de la construction étant l’un des plus émetteurs.

Selon Maléna Bastien Masse, post-doctorante au Laboratoire SXL, les analyses de cycle de vie réalisées ont pu montrer que les émissions de CO2 de la passerelle correspondent à 30% des émissions de la construction d’une passerelle identique avec du béton neuf. En comparaison avec un arc en béton monolithique, les émissions correspondent à 35%. Les chercheurs en concluent qu’il n’existait pas de pont en béton ayant une empreinte carbone aussi basse que celui-ci, et que ses émissions de CO2 équivalent à celles d’une passerelle en arc de bois.

 

 

Repousser les limites du béton

Ce n’est pas la première fois que l’EPFL fait parler d’elle dans des projets à base de béton. En effet, en 2019, les étudiants de l’EPFL et de l’Université Fédérale de Bahia (UFBA) du Brésil ont érigé une structure en béton innovante au Smart Living Lac dans le cadre d’un programme de cours interdisciplinaire.

La particularité de ce béton ? Sa composition.

En effet, il s’agit d’un béton textile qui utilise de la fibre de carbone à la place des traditionnelles armatures d’acier. Cette technique permet, en complément du développement d’un coffrage de métal adapté, de créer une structure plus légère tout en profitant d’une très bonne résistante statique.

Le pavillon créé dans le cadre de ce projet présente une structure plus fine que celle réalisable en béton armé classique, avec une épaisseur de 9 millimètres pour la coque de sa toiture. De plus, chaque élément porteur de la structure est démontable, réutilisable et transportable facilement par seulement une ou deux personnes. L’objectif de cette technique étant de rendre possible l’auto-construction, sans avoir recours à des engins lourds de chantier.

Le but des étudiants ici est de démontrer les possibilités qu’offre ce type de béton, notamment pour la construction de logements, alliant à la fois simplicité et haute résistance aux éléments extérieurs. La recherche s’inspire de la technique de l’argamassa armada (mortier renforcé), développée par João Filgueiras Lima, un architecte brésilien spécialisé dans la construction de favelas et de préfabriqués. Mais cette technique avait été laissée de côté suite à des problèmes de corrosion, ce qui a amené aujourd’hui à réfléchir à une solution durable : un béton armé textile utilisant un renfort non corrosif.

Ce type de construction pourrait trouver sa place dans le domaine du bâtiment à l’avenir, grâce à la réduction importante des matériaux mais également à l’utilisation de ciments durables, permettant ainsi de réduire drastiquement l’empreinte carbone du béton.

 

Le concept et la passerelle réalisés par les chercheurs du Smart Living Lab de Fribourg possèdent de véritables atouts pour le secteur de la construction.
Bien que la passerelle ne soit ici qu’un démonstrateur, les scientifiques espèrent qu’elle ouvrira la voie au réemploi d’éléments de chantier pour réinventer la manière de construire dans un monde plus respectueux de l’environnement. 

La passerelle a été mise à disposition d’un futur acquéreur, grâce à la validation de l’ensemble des tests réalisés en amont, et apparaîtra peut-être bientôt au sein d’un véritable projet de construction.

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Image de couverture :  photo d’illustration.