« Ôdeep One » : le bateau-usine qui transforme l’eau de mer en boisson

Transformer l’eau de mer en en boisson dans le respect de l’environnement ?

C’est l’objectif que s’est fixé « Ocean Fresh Water ». Fondé par un ingénieur et ancien marin, le groupe s’apprête à lancer la production de boisson à base d’eau de mer, grâce à son navire « Ôdeep One ».

C’est de Sète, port d’attache du bateau depuis septembre 2019, que vient de partir « Ôdeep One » en janvier 2020. Dans les mois à venir, le navire collectera de l’eau de mer, la traitera et l’embouteillera sur place.

Une première mondiale qui permettrait à terme de pallier au manque d’eau potable dont souffrent certaines régions du monde.

Retour sur ce projet dans notre article de la semaine.

Une première mondiale 

 

A la tête du projet : Régis Révilliod, ingénieur et ancien de la Marine marchande. Le capitaine est devenu spécialiste en ingénierie industrielle et offshore. Il s’est ensuite lancé dans l’armement maritime. Après avoir créé la société Optimum Consulting, il fonde le groupe Ocean Fresh Water, lui-même à l’origine de la marque Ôdeep ainsi que de la compagnie maritime OFW Ships.

Son projet fou : pomper, traiter, embouteiller et commercialiser de l’eau de mer potable, aux nombreux bienfaits pour le corps humain, le tout à bord d’un seul et même navire. En somme, « produire une boisson naturelle en bouteille, qui provienne exclusivement de l’eau de la mer. Cela ne s’était jamais fait » résume Régis Révilliod.

 

 

Des conditions de récolte et d’embouteillage bien spéciales

 

Pour obtenir une eau saine, les conditions de la récolte garantissent sa pureté. Notamment l’éloignement du navire : il se rend dans les eaux internationales, loin des côtes, et « de toute source de pollution ». Cette distance assure une meilleure qualité que celle de l’eau des bords de mer, souvent trop polluée.

C’est à environ 300 mètres des côtes, dans des zones où l’eau peut atteindre 2 000 mètresde profondeur, qu’est récolté le liquide.

Pourquoi à une telle profondeur ? Tout simplement pour l’obscurité et la température de l’eau : en l’occurrence, elle empêche tout développement de bactéries. Par ailleurs, l’eau conserve également tous ses minéraux. Une distance idéale donc pour la puiser !

« Les 78 minéraux contenus dans notre produit sont entièrement assimilés par l’organisme humain », indique Régis Révilliod. Il se veut rassurant face aux controverses sur l’assimilation du phytoplancton par le corps humain. De fait, cet ensemble d’algues microscopiques unicellulaires qui flotte dans les eaux, peut être nocif. Il est composé de toxines qui peuvent entraîner différents problèmes de santé chez l’Homme. Problèmes digestifs, cardio-vasculaires, respiratoires, neurologiques ou encore cutanés… Bien que rarement graves, ces réactions seront évitées : à cette profondeur, le plancton a disparu.

Prochaine étape : l’eau de mer est pompée à 6 degrés, puis elle circule pour refroidir le bateau avant d‘être filtrée. Les équipes utilisent un procédé d’extraction du chlorure de sodium, technique confidentielle qui relève « du secret industriel ».

A ce sujet, le dirigeant du groupe précise : « Ce que je peux vous dire, c’est que nous retirons le sel grâce à un processus de filtration sélective respectueux de l’environnement qui est la combinaison de savoir-faire maritimes et industriels français ».

C’est à ce stade que l’eau devient douce et que les minéraux marins sont conservés. La filtration sélective n’utilise aucun traitement chimique ni ajout. La poudre de sel extraite est ensuite en partie rejetée à la mer.

Le tout sera ensuite embouteillé directement sur le bateau, pour une distribution plus rapide. L’usine d’embouteillage qui se trouve à bord d’Odeep One devrait être capable de « produire 24 000 bouteilles à l’heure et 100 millions de litres par an ».

 

 

Un projet respectueux de l’environnement

 

La cause environnementale est au cœur du projet, aussi bien dans son objectif que dans sa réalisation.
En effet « tous les moyens possibles pour limiter l’empreinte carbone de l’opération » seront mis en place.

Un point primordial pour le directeur de OFW : il explique que « la propulsion du bateau est à l’arrêt 85 % du temps et nous n’utilisons pas de fuel lourd. Pour la climatisation, on utilise la fraîcheur des eaux profondes. À quai, c’est le port de Sète qui nous fournit l’électricité. Pour écouler notre production, nous sommes connectés au système de ferroutage en place ».

La société a aussi annoncé que l’embarcation est déjà compatible avec les prochaines réglementations internationales sur les carburants. Pour preuve, Odeep One utilise le diesel le plus respectueux de l’environnement.

Dans un premier temps, l’eau sera embouteillée dans des bouteilles en PET (Polyethylene Terephtalate). En principe, ce plastique entièrement recyclable ne perd pas ses caractéristiques fondamentales. Il peut donc être réutilisé à plusieurs reprises. Quant aux livraisons des bouteilles d’eau, elles se feront sur des palettes de plastique recyclé également.

Ce souci du détail devrait porter ses fruits sur le marché mondial.

 

 

La naissance du navire-usine Odeep One

 

Après plusieurs refus de financements publics (notamment BPIfrance), c’est finalement sur son réseau personnel que Régis Révilliod a pu compter. Trois premiers millions d’euros, récoltés entre 2015 et 2016, ont donc permis de lancer ce projet.

Cette somme a été allouée à la conception et la construction d’un petit bateau aux mêmes fonction qu’Odeep : en 2017, Little Odeep est lancé. Rattaché au port d’Hyères, cette version réduite a permis de stabiliser le procédé industriel et de réaliser de nombreux tests sanitaires.

En 2018, le groupe obtient le soutien important de La Compagnie Agricole Investissement, un fonds d’investissement « éthique » dirigé par Frédéric Leroux. OFW peut alors s’offrir son premier grand navire-usine. A partir de 2019, il est transformé pour accueillir des équipements de filtration et d’embouteillage.

L’Odeep One est un ancien train-ferry construit en 1986 dans les pays de l’Est. Il mesure 196 mètres de long avec un maître-bau de 28 mètres (la plus grande largeur du bateau).

Pour être fonctionnel par rapport au projet, il a entièrement été refait. « Les moteurs, les groupes électrogènes, on a passé le bateau au carénage, on a rajouté des câbles et tableaux électriques partout pour alimenter l’usine. Ce sont des travaux considérables. Les gens ne se rendent pas compte de ce qu’est un navire-usine, surtout pour une grande première, on a tout inventé », indique l’armateur. L’usine d’embouteillage et de palettisation a été commandée, montée et testée en Chine puis installée à bord du navire en Pologne.

Après sept mois passés sur le chantier Remontowa (Gdansk, Pologne), retour à Sète pour le bateau. Il y a été entreposé en attendant de prendre le large pour rendre consommable l’eau des profondeurs de la mer.

A terme, l’Odeep One devrait rejoindre une zone de pompage au large des Philippines. Cet emplacement donne l’occasion d’« arroser facilement tous les ports chinois, taïwanais, japonais. A cet endroit l’eau est également d’une très bonne qualité puisqu’il y a des fonds de plus de 4 000 mètres ». 

Pour immatriculer Little Odeep, OFW a fait face à de nombreuses complications administratives. Suite à cela, Régis Révilliod a cette fois-ci décidé d’immatriculer Odeep One… au Panama. Le propriétaire affirme que ce choix n’a pas été fait à des fins fiscales. L’enjeu : fluidifier et accélérer le processus d’immatriculation, demande à laquelle l’administration française ne pouvait répondre dans les temps.
Bien que cette immatriculation ne soit pas française, tout l’équipage à bord (les officiers et une dizaine d’élèves) est français.

Au-delà de l’objectif principal, Régis Révilliod voit plus loin. Il travaille déjà sur nombreux projets futurs autour de l’Odeep. Parmi eux : stabiliser les bateaux pendant les phrases de pompage grâce à un kite (cerf-volant) ; mais aussi produire une partie du diesel utilisé à bord en recyclant les plastiques par pyrolyse ; passer à des emballages entièrement « verts » ; ou encore créer des moyens pour abreuver des régions entières sous stress hydrique (lorsque la demande en eau dépasse les quantités disponibles).

 

 

Quel prix pour cette eau de mer potable ?

 

L’Ôdeep sera commercialisée au prix de 1,90 € la bouteille de 60 cl. D’ici quelques semaines, toutes les bouteilles seront en R-PET (Recycled Polyethylene Terephtalate), un plastique à 100% recyclé. L’Ôdeep sera aussi proposée au format de cubitainers de 5 litres.

Pour commencer, la société espère produire directement sur le bateau 750 palettes par semaine, soit l’équivalent de 800 000 litres. D’ici fin 2020, elle vise les 3 000 palettes avec plus de 100 millions de litres à l’année.

Pour la suite, des versions différentes sont prévues afin d’élargir la gamme. Une sans sels ; ou une autre plus chargée en certains minéraux par exemple.

La marque se positionne sur le secteur du bien-être, notamment du fait des minéraux, oligoéléments et acides aminés contenus dans l’eau. Pour le moment, la majeure partie de la production ira vers le marché chinois qui en absorbera 80%.« Les Chinois n’ont pas de préjugés et ont soif de produits bien-être », explique Régis Révilliod.

Pour optimiser la récolte, d’autres bateaux sont amenés à être envoyés à travers le monde pour puiser localement l’eau et la revendre directement dans les régions et pays voisins. « L’usine bougera. Les bouteilles viendront de loin pour toucher le consommateur. C’est une solution face à des ressources terrestres en eau limitées, contrairement à l’océan », estime le dirigeant.

Un deuxième bateau devrait donc être mis à flot d’ici 2021. Il aura pour destination le large de la Chine. D’ici 2030, la compagnie espère développer une flotte constituée d’une douzaine de bateaux prêts à parcourir les mers, grâce à une levée de fonds de 20 millions d’euros pour développer le concept.

 

 

 

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*Photo de couverture : photo d’illustration.