Le monde arabe va inaugurer sa première centrale nucléaire
Barakah, ville côtière du golfe Persique des Émirats arabes unis (EAU) dans le nord-ouest du pays, est en passe de mettre en service la toute première centrale nucléaire du monde arabe. Le 17 février 2020, elle a obtenu le feu vert pour la licence d’exploitation de son premier réacteur.
L’opérateur émirati Nawah fait un bond de géant : il s’agit du premier site de production nucléaire du monde arabe.
C’est un moment historique après plus de 12 ans de construction et près de 22,5 milliards d’euros d’investissements.
Évaluation de la conformité, durée de vie, capacité de production… On fait le point pour vous dans notre article de la semaine.
Deux ans d’attente récompensés
À l’origine, la mise en service de la première unité de production était prévue pour 2017. Or cette date a dû être reportée à plusieurs reprises.
La raison ? Selon les responsables, un délai supplémentaire était nécessaire afin de répondre aux conditions légales de sécurité que la centrale ne remplissait pas encore.
Résultat : un retard de plus de deux ans et surtout une augmentation du coût total.
De fait, les EAU tiennent à ce que leur centrale voit le jour dans les meilleures conditions réglementaires et politiques possible.
« Les Emirats restent attachés aux normes les plus élevées de sécurité et de non-prolifération nucléaire ainsi qu’à une coopération solide et continue avec l’AIEA et les partenaires nationaux et internationaux », a insisté Hamad Alkaabile, représentant permanent des EAU à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
L’installation a été menée par le consortium Emirates Nuclear Energy Corporation (ENEC) et le coréen Korea Electric Power Corporation (KEPCO). Le coût total de cette construction est estimé à 24,4 milliards de dollars, soit environ 22,5 milliards d’euros.
« Il s’agit d’un moment historique pour les Emirats arabes unis (…) qui vient couronner les efforts de 12 ans de construction », s’est félicité l’ambassadeur Hamad Alkaabi durant la conférence de presse.
Le diplomate précise qu’« Après l’octroi de la licence d’exploitation du premier réacteur, l’opérateur Nawah lancera sa mise en service pour préparer son entrée en exploitation commerciale ».
Pour le moment aucune date de mise en service du premier réacteur n’a été fixée, bien qu’elle devrait intervenir dans « un futur proche ».
En décembre 2019, l’administration publique ENEC (Emirates Nuclear Energy Corporation) a annoncé que le chargement du combustible nucléaire devrait être réalisé au cours du premier trimestre 2020.
Des procédures de mise en service longues et complexes
« L’Autorité fédérale de régulation nucléaire (FANR) a approuvé la délivrance à l’entreprise Nawah de la licence d’exploitation du réacteur 1 de la centrale », a déclaré Hamad Alkaabi.
Cette licence d’exploitation, qu’on estime valable pendant 60 ans, n’a pas été facile à obtenir par l’autorité de sûreté nucléaire des Émirats.
En effet, l’évaluation de la conformité des installations est complexe. Le processus inclut de nombreux éléments tels que « l’examen du plan d’aménagement de l’usine et l’analyse de l’emplacement du site en termes de géographie et de démographie », résume la FANR.
A cela, l’autorité fédérale précise que« l’évaluation a également porté sur la conception du réacteur, les systèmes de refroidissement, les dispositifs de sécurité, la préparation aux situations d’urgence, la gestion des déchets radioactifs et d’autres aspects techniques ».
Derniers assemblages avant la mise en service
À terme, la centrale détiendra 4 réacteurs d’une capacité de production de 5 600 Mégawatts. C’est Nawah Energy Company qui sera en charge de l’exploitation et de l’entretien des réacteurs.
L’entreprise indique qu’elle« va maintenant terminer ses derniers préparatifs avant de commencer en toute sécurité le chargement des premiers assemblages de combustible dans la cuve du réacteur de l’unité 1 ».
D’après Nawah, la construction en cours des trois autres unités s’achèvera bientôt. Le groupe estime l’avancement des unités à respectivement 95%, 92% et 83%.
Le chargement du combustible dans les réacteurs marquera la première étape du démarrage de la production d’électricité de la centrale.
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EDF est de la partie !
En 2009, le projet de construction de la centrale a évincé Areva, GDF Suez et Total au profit d’un consortium coréen mené par Kepco. Quelques années plus tard, le premier exploitant nucléaire mondial EDF prend finalement part au projet.
En 2018, EDF annonçait la signature d’un accord-cadre de 10 ans avec Nawah, filiale de l’ENEC.
EDF accompagnera donc l’entreprise publique dans l’exploitation et la maintenance de la nouvelle centrale nucléaire à travers diverses prestations de services.
Ainsi, EDF se chargera d’études, d’un accompagnement in situ, de formations ou encore de sessions de benchmarking. Ces missions assureront à la centrale une démarche d’amélioration continue, tout en renforçant la culture de la sécurité du groupe EDF.
A cette occasion, le Directeur Exécutif Groupe en charge du parc nucléaire et thermique, Dominique Minière s’est exprimé. « Nous sommes fiers que Nawah reconnaisse le savoir-faire d’EDF, premier exploitant nucléaire mondial, en nous confiant des prestations de service pour la centrale de Barakah. Avec cet accord, EDF renforce sa position aux Émirats Arabes Unis dans le domaine des énergies décarbonées et réaffirme l’ambition de sa stratégie CAP 2030 de tripler ses activités en dehors de l’Europe à l’horizon 2030 ».
Cet accord consolide le partenariat franco-émirien dans le domaine énergétique.
Un programme nucléaire « pacifique »
Mohammed Ben Zayed, prince héritier d’Abu Dhabi, s’est montré enthousiaste face au projet. On peut ainsi lire sur son compte Twitter « C’est une nouvelle étape dans notre marche vers le développement de l’énergie nucléaire pacifique ».
Les dirigeants émiratis ont également insisté sur le caractère « pacifique» de leur programme nucléaire.
En effet, dans un contexte politique difficile, les dirigeants émiratis alliés aux États-Unis font comprendre que la finalité du projet ne comporte aucun volet militaire.
Depuis 2010, les EAU ont à leur actif plus de 40 missions internationales et inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et de l’Association mondiale des exploitants nucléaires (WANO).
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L’énergie de demain doit trouver des alternatives au pétrole
En 2017, l’Etat fédéral composé de sept émirats totalisait 9,4 millions d’habitants dont environ 80% d’expatriés.
Ce chiffre implique des besoins en électricité importants et en constante augmentation. C’est notamment le cas en été : l’utilisation de la climatisation est primordiale lors d’épisodes caniculaires.
Lorsque les quatre réacteurs seront pleinement opérationnels, leur capacité de production permettra de couvrir environ 25% des besoins énergétiques des Emirats Arabes Unis.
Pour répondre aux besoins en électricité des habitants et des entreprises, les EAU ont aussi misé sur le photovoltaïque avec la centrale Shams. D’une superficie de 2,5 km2, elle a été inaugurée en 2013 dans le désert d’Abu Dabi. A date, elle permet d’alimenter 20 000 foyers.
C’est un fait : le pays est riche en pétrole, avec une réserve de 105 milliards de barils et de gaz (soit 7 700 milliards de m3). Toutefois, l’Etat fédéral va devoir trouver de nouvelles alternatives.
Une étude du 6 février dernier publiée par le Fonds monétaire international (FMI) met en garde les pays arabes du Golfe. En effet, elle indique qu’étant dépendants du pétrole, ces zones devraient engager de profondes réformes sous peine de voir leurs richesses s’épuiser d’ici à 15 ans.
« Avec la situation budgétaire actuelle, la richesse de la région pourrait s’épuiser d’ici 2034 », affirme le FMI. Il ajoute que les États du Golfe enrichis pendant des décennies grâce aux revenus pétroliers, sont aujourd’hui face au mur. Ils n’ont pas d’autre choix que d’accélérer et d’élargir les réformes économiques actuelles pour éviter de devenir des emprunteurs nets.
L’institution met également en avant la mutation du marché mondial de l’énergie suite aux nouvelles technologies qui ont impacté le marché. Sans oublier les préoccupations climatiques de plus en plus pressantes.
Au-delà de cet avertissement, les Émirats Arabes Unis se sont fixés un objectif de production de 50% d’énergie décarbonée d’ici 2050.
« Nos efforts continuent pour nous préparer aux 50 prochaines années et assurer les besoins énergétiques du pays », a ajouté Hamad Alkaabi.
La nouvelle centrale nucléaire de Barakah constitue un pas en avant inédit pour le secteur énergétique du monde arabe. Cependant, il devra impérativement réfléchir à de nouvelles sources énergétiques plus vertes. Ces alternatives sont nécessaires dans un contexte environnemental alarmant et pour compenser les dépenses énergétiques considérables des EAU.